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Retournement d’entreprise : mettre l’arc en tension


Il est peu de métiers aussi passionnants que celui de dirigeant d’entreprise. Il en est également peu qui soient aussi difficile quand la tempête est là. Les meilleures écoles de commerce n’enseignent que bien peu de chose en ce domaine.


Quand la mer forcit, il est indispensable que la direction à prendre soit décidée rapidement et les ordres donnés clairement, et exécutés sans discussion. La responsabilité du dirigeant est… de diriger, tracer la route. Cette mission ne peut pas être déléguée à qui que ce soit. Si les conseils de tous bords doivent être utilisés pour réaliser un diagnostic et aider à l’implémentation des mesures, la décision est clairement de la responsabilité du chef d’entreprise, pas de celle du groupe de direction.


Il faut un pilote dans l’avion. Pas seulement vis-à-vis du comité de direction, mais aussi vis-à-vis du reste des employés. Tous doivent savoir qu’il y a quelqu’un aux commandes qui assume la responsabilité de ses décisions. C’est le dirigeant et lui seul qui est responsable des décisions.


Vous devez donc vous mettre en condition. C’est vous qui êtes responsable, au sens le plus noble, du devenir de l’entreprise. Vous devez devenir homme d’action, entièrement tendu vers le redressement voulu. Vous devez agir avec en permanence la vision de la réussite de l’entreprise à l’esprit. Ce que j’envisage de faire dans la journée (réunion, déplacement, rencontre…) fait-il progresser l’entreprise vers son redressement, ou n’est-ce qu’une occupation qui vient détourner mon énergie du but que je me suis fixé ? Le passé n’existe plus. Seul compte le chemin vers le rétablissement.


La difficulté est que la prise de conscience de l’existence d’une crise peut être vécue par vous, si vous êtes celui qui a laissé la crise arriver, comme un constat d’échec personnel. Il vous faut être capable de reconnaître vos erreurs et de revenir sur des décisions que vous avez prises. Ravaler sa fierté, donc, et mobiliser les forces de l’entreprise.


C’est une tâche difficile ? C’est vrai, mais cela ne doit pas vous décourager. Certains ont réussi un redressement à côté duquel celui auquel vous vous attaquez est un jeu d’enfant.


William Bratton a été nommé en février 1994 à la tête de la police de New York. La situation était tellement exécrable que le surnom de la ville était passé de Big Apple (Grosse Pomme) à Rotten Apple (Pomme Pourrie). Le crime était partout, les gangs se faisaient la guerre en toute impunité, la drogue se vendait quasiment au grand jour, les 35 000 policiers, sous-payés, étaient démotivés.


En moins de deux ans, et sans augmentation de budget, New York est devenue la grande ville la plus sûre des États-Unis. Les crimes avaient baissé de 50 %, les délits de 39 % et les vols de 35 %. Ce qui est vraiment impressionnant, c’est que ces résultats ont continué après la mutation de William Bratton.


Le succès de Bratton est dû à une communication claire et indiscutable sur le besoin de changement, une concentration des ressources sur ce qui est vraiment important, la neutralisation des résistances et, surtout, un rayonnement personnel et la démonstration d’une détermination sans faille.


Vous devez avoir une attitude positive et faire rayonner cette attitude autour de vous. Ne jamais vous placer en victime. Votre énergie et votre engagement sont primordiaux. Les employés doivent comprendre que vous et votre équipe rapprochée êtes à bord avec eux, que votre sort est lié au leur. La détermination est contagieuse. À votre contact, vos collaborateurs se tourneront eux aussi vers le but.


Votre crédibilité repose sur deux composantes, et seulement deux : performance et transparence. Chacune de ces deux composantes inspirera la confiance en vous. Votre performance passée est un bon signe de la réussite à venir, et votre transparence permet de ne pas chercher les indices d’une future mauvaise nouvelle cachée.


Par nature, certains recherchent le consensus, d’autres veulent être aimés par tous. Ces comportements peuvent réellement vous créer des problèmes car, dans tous les cas, il y a des moments où vous aurez à prendre des décisions difficiles, licencier, stopper un projet, fermer un site. Naturellement ces décisions vont rencontrer une résistance. Votre devoir est d’écouter, d’expliquer clairement, et d’implémenter vos décisions. Vous ne devez pas changer de ligne. Vous n’êtes pas le dirigeant pour gagner un concours de popularité.


Ménagez-vous des moments pour décompresser.


Vous aurez également besoin d’un espace « off », dans lequel vous pourrez déconnecter. Personne ne peut rester en continu sur un sujet sans en payer le prix. Vous êtes sous pression, vous avez besoin de vous ressourcer. Chacun a sa technique.


Quand j’étais étudiant à l’INSEAD, nous eûmes une intervention d’une demi-journée par un psychologue. Je me souviens de son entrée en matière : “Bonjour. Vous êtes une population à risque : stress, longues journées, décalages horaires, restaurants… Statistiquement, la moitié d’entre vous aura un infarctus avant d’atteindre 50 ans.” Bing ! On aurait entendu une mouche voler dans l’amphi.


L’intervenant nous expliqua alors comment éviter de tomber dans la mauvaise moitié : “Faites de l’exercice et mangez équilibré, bien sûr, mais ça, je sais que cela restera à prendre la poussière sur l’étagère des bonnes résolutions. Ce que je vous recommande réellement, c’est de vous réserver un quart d’heure par jour pour vous. Pas pour votre famille, pas pour mettre à jour votre courrier en retard. Pour déconnecter. Vous écouterez de la musique, vous ferez une courte promenade, vous ferez ce que vous voudrez, mais vous vous viderez le cerveau. C’est la seule façon de ne pas faire partie de la mauvaise moitié.” »


La pression sociale valorise la suractivité. Soyez-en conscient et refusez ce modèle. Richard Branson, le célèbre milliardaire britannique fondateur de la marque Virgin, passe une partie importante de son temps à se ressourcer : îles paradisiaques, tour du monde en ballon, voile… la recharge de ses batteries est programmée aussi professionnellement que ses activités de manager. Le lapin Duracell irait encore plus loin s’il pouvait recharger ses batteries.


Chacun trouvera l’activité – ou plutôt la non-activité – qui lui correspond. Certains choisiront une séance de yoga par semaine, d’autres iront à la pêche. L’important est de se programmer une parenthèse dans son emploi du temps et de respecter cette programmation. L’actualité de l’entreprise essaiera de vous faire annuler ce rendez-vous avec vous-même. Tenez bon, c’est probablement le moment le plus important de votre semaine. C’est ce qui vous permettra d’être à 100 % de vos capacités et de votre énergie. Un dirigeant épuisé est toujours un mauvais dirigeant.


Vous allez devoir faire face à une pression sociale qui va vous répéter ouvertement ou de façon subliminale que les statistiques sont contre vous : 90 % des dépôts de bilan finissent en liquidation, telle est la sagesse populaire. Peut-être, ou peut-être pas. La seule chose que vous savez est que votre entreprise n’est pas la moyenne statistique des entreprises. Elle a des points faibles, mais aussi des points forts. Fermez-vous à ces oiseaux de mauvais augure. Pour réussir, il faut la foi et la volonté. Vous n’avez pas assez d’énergie disponible à gaspiller pour combattre les petites voix.


Rapprochez-vous donc de celles de vos connaissances qui vous aident à voir le côté positif de votre aventure, ceux qui croient en vous. Vous avez besoin de consacrer toute votre énergie au redressement de votre entreprise, pas à convaincre telle ou telle de vos relations de vos chances de réussite.


Ne pas baisser le bras et, dans la mesure du possible, choisir le destin de son entreprise. Voilà une feuille de route qui « a de la gueule » ! Avoir dirigé une entreprise en difficulté est aux États-Unis une des meilleures références que l’on puisse proposer à un futur employeur.


L’expérience acquise, le caractère ainsi forgé sont considérés comme des atouts précieux.

Ami dirigeant, redresser une société demande de la volonté et de la technique. Vous avez devant vous des temps difficiles. Il serait absurde de le nier. Préparez-vous à des nuits d’angoisse, à une solitude que peu de gens comprennent, à des coups bas de la part de relations dont vous attendiez l’appui, à des vexations.


C’est dans ce four que brûlent les mauvais alliages mais que se forge aussi l’acier des grands managers.


Faire face à nos difficultés est notre devoir. C’est surtout la grandeur de notre métier de dirigeant, un métier d’homme.



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